Les rayons du soleil teintant sa peau de reflets caramel. La brise printanière jouant dans ses boucles couleur de cuivre brun, et sa robe de flanelle blanche recouverte d'un drapé rouge. Le cliquetis de sa bicyclette roulant à allure vive dans les rues pavées, longeant la Seine lancée à un rythme doux. Pour un peu, il ne lui manquait que le son d'un accordéon jouant un air populaire pour parfaire l'image de carte postale. Mais malgré le cliché, le sourire qui étirait ses lèvres pulpeuses n'en était que plus sincère, plus apaisé. Il y avait bien longtemps qu'elle ne s'était sentie aussi bien, aussi libre. Un luxe, une aubaine. Il lui semblait que rien ni personne ne pouvait assombrir le ciel dégagé de tout nuage, troubler l'allégresse qui la gagnait à chaque coup de roue donné en direction du centre-ville. Autour d'elle, des couples, des familles, des hommes en haut de forme et des femmes jouant de leur ombrelle composaient un joli assortiment de ce que la société parisienne avait de plus chic et distingué à offrir, alors que tous portaient sur leur visage une vive excitation : pressés, tous avaient hâte de découvrir les merveilles venues des quatre coins du monde pour y être montrées, admirées, voire même achetées pour les plus téméraires. Au milieu des démonstrations de machines en tout genre et d'explication sur les nouveaux phénomènes découverts, on pouvait également admirer bon nombre d'autres créations : porcelaines de Chine, epices des Indes, instruments d'Afrique. Des curiosités venues de contrées lointaines, invitant au rêve et à l'oubli. Une curiosité dont elle faisait partie, malgré elle. Resserrant brusquement sa poigne autour du guidon, elle accelera sa pédale et s'engageant dans une descente vertigineuse ; le soleil devenu éclatant, brise devenue vent et le cliquetis devenu couinement, elle dévala une longue allée menant à sa destination, sous les regards étonnés des passants : le Champ de Mars, et la fameuse Tour Eifel, joyaux de cette Exposition Universelle de 1900.

Là, l'effervescence était à son comble : de larges mégaphones étaient accrochés à la cime des arbres entourant l'imposant édifice de fer, un gradin avait été installé pour lui faire face, et une longue estrade en forme de piste de décollage partait de ses pieds pour s'arrêter net, juste avant les berges du fleuve. Le long du couloir, des centaines d'objets à échelle humaine, pourvus d'hélices et d'ailes en tout genre, habillées de toutes les couleurs, fumaient, ratatinaient et sautaient au milieu de la foule enchantée. Le premier concours aéronautique avait de quoi susciter les réactions ! Quelques dames s'aventuraient prudemment des bolides, pour se cacher derrière leur éventail à quelques millimètres des engins fièrement actionnés par des hommes soudain rouge d'une toute autre envie. Déambulant au milieu de tout l'agitation, elle leva les yeux au ciel ; se pouvait-il que des femmes soient encore assez stupide pour jouer des minauderies devant des êtres aussi dégoûtants ? uc

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